Robert Tai est un personnage complexe et un artisan passionné. D'un côté, il est considéré comme une influence majeure oubliée du cinéma d'arts martiaux grâce à ses nombreuses trouvailles visuelles inventées pour dynamiser l'action, et de l'autre il passe plus volontier pour le réalisateur de kung fu Z par excellence, sorte de Nam Lai Choi du kung fu. Côté personnalité, là aussi tout s'oppose, d'un côté une énergie débordante et communicative et de l'autre un fort esprit d'indépendance doublé d'un caractère bien trempé avéré qui ne lui crée pas que des amis.
UNE
FORTE PERSONNALITÉ
Tai
est reconnu pour son caractère difficile
et ne cache pas lors de ses rares interviews, sa
gouaille, ses penchants vénales et son envie
actuelle de faire de l'argent sans effort, peut-être
due à ses faibles bénéfices
lorsqu'il faisait réellement ce qu'il voulait.
Autoritaire sur ses tournages, il a laissé
quelques mauvais souvenirs à ceux qui osaient
le contredire. Il se déclare lui même
parrain du kung fu moderne et ne semble pas très
familier avec une quelconque modestie, accentuée
par sa non reconnaissance publique comparée
aux autres grands chorégraphes de kung fu.
Ses quelques films pondus pendant sa période
de réalisateur attestent malgré tout
d'une créativité incroyable qui en font des objets absolument uniques, mélant un irrespect de la norme et une équipe d'athlètes considérés par certains comme les meilleurs du monde.
VISUEL
Le style Tai, c'est avant tout une avalanche d'idées visuelles pondues avec rien, mais pas dans le sens graphique et encore moins dans le sens poêtique du terme. Il s'agit pour lui de fournir autant, voir plus, de spectacle burné que les plus grands réalisateurs du genre que sont Chang Cheh et Ching Siu Tung*, les deux maîtres dont il se rapproche le plus, mais aussi Tsui Hark et son goût pour l'accélération de la narration ; mais avec un budget 100 fois moins important que ces pointures par excellence.
TOUT
A L'EXCES
Bien
qu'autoritaire et très directif sur ses tournages, Tai est loyal et passionné. Il motive, ne se
fixe aucune limite et aime par-dessus
tout la caricature et l’excès. Dans un film de Tai, plus une scène
de kung fu part en n’importe quoi plus il l’assume
avec force.
LA
VIOLENCE
Héritage de Chang Cheh avec
qui il a déjà testé les effets
d'amputations et de coups sanglants dans les films des Venoms, la violence
chez Tai est omniprésente et ce dès son premier
film, Devil Killer, où
viols, tortures atypiques et morts d'innocents sont
de rigueur. Une violence parfaitement explicite,
gore même, comme la présence presque
obligatoire du coup mortel qui tue net et fait gicler
le sang en fin de combat, ou mieux transperce l'adversaire
de part en part. Robert ne cache pas son attrait
pour les scènes les plus déviantes
possibles et ira de plus en plus loin au fil de
ses réalisations ajoutant décapitations,
transpercements, étripages, écrabouillages,
canibalisme, et ce malgré un réalisme diablement limité.
Dans Shaolin Vs Ninja, les Samouraïs massacrent et décapitent de pauvres paysans chinois et un massacre final particulièrement sanglant fait honneur à Chang Cheh. L'attaque du village par les 9 démons Dans Shaolin Chastity Kung Fu est un beau morceau aussi et vaudra au film son titre français "Massacre
au village". Tai n'hésite pas une seconde
à présenter de gros molosses déchirant
un villageois en deux tenu à bouts de bras,
transperçant un autre de part en part avec
un coup de pied, arrachant une tête ou deux
avec une massue ou distribuant des baffes qui vont
gicler le sang sur la caméra. Ajoutons le
maître shaolin cloué à terre
qui se fait carrément écrabouiller
la tête par un rocher...
Les
sommets seront atteints dans Ninja
final duel et ses 11 heures non stop originelles
de combats entre shaolin et ninjas, et en particulier
dans son troisième et dernier opus, Shaolin
Dolemite. On y découvre des transpercements
de corps, décapitations et autres joyeusetés
parfaitement explicites, comme un Eugène
Thomas qui savoure sa victoire en extirpant les
tripes du ventre de Toby
Russell avant de sauter de joie en balançant
joyeusement les viscères de la victoire.
Le résultat à l'écran est évidemment
on ne peut plus cheap. On aura
aussi droit à du cannibalisme très spécial lorsque deux guerriers revenants possédés
mordent avec férocité dans la chaire
et ne laissent pourtant aucune trace si ce n 'est
un filet de peinture rouge.
LES
CABLES
Tai utilise beaucoup les câbles
qu'il aime tout particulièrement pour accentuer
les percussions et les frappes. Il est aussi l'un
des tout premier, si ce n'est le premier à
avoir émancipé les câbles dans
les années 70 et à les avoir utilisés
pour simuler de hauts vols d'acteurs ainsi qu'à
d'autres fins. Il s'attachera dès ses débuts
de chorégraphe à la Shaw à
gonfler la dynamique de ses combats notamment avec
de petits effets câblés. En attachant
une vitre à l'objectif et en scotchant une
fléchette ou autre sur cette même vitre
par exemple, il filme les translations rapides d'armes
de jet et accentue ainsi la dynamique du plan. Il
attache aussi des objets volants à des câbles
tendus pour filmer le jet en lui-même.
Il
utilise dès 1977 des procédés
comme faire reculer un combattant
de plusieurs mètres en arrière suite
à l'impact d'un coup grâce à
un câble attaché dans le bas du dos,
ou permettre à un protagoniste de grimper
à un arbre très rapidement ou de sauter
d'un arbre à l'autre en suspension.
Dès
Five Venoms, Robert utilise les câbles pour
suspendre un long moment les combattants dans les
airs, notamment lors du final où
Chiang Sheng et Kuo Chui utilisent la technique
du lézard pour se coller aux murs et se battre
en "suspension" oubliant les contraintes
de la pesanteur. Avec ses réalisations de
plus en plus fauchés, Tai utilise
les câbles à des fins de moins en moins
discrètes : faire tourner un homme qui est
censé grimper à un arbre avec les
mains (Guards of Shaolin), filmer un flying kick
au ralenti sans ralenti (Ninja Final Duel) en tournant
la caméra autour du personnage pour un effet
Matrix du pauvre ahurissant, faire voler des mannequins
en mousse à plusieurs dizaines de mètres de haut,
simuler le déplacement de ninjas souterrains,
faire sauter des araignées de polystyrène
chevauchées par des ninjas en mousse, etc.
Les câbles sont partout et qu'importe si ils
se voient pourvu qu'ils permettent de traduire une
idée avec peu de moyens. Outre les araignées
volantes de Final Duel, l'utilisation la plus menfoutiste
de sa carrière va sans doute au duel entre
Mandy Pang et Eugène Thomas dans Shaolin
Dolemite ou les deux combattants se balancent des
armes de jet qui finissent par se balancer au bout
de câbles telles des balançoires et
explosent en se percuttant, le tout avec un montage
illisible comme d'habitude. Effet Z garanti.
LE
2 EN 1
Plusieurs réalisations de Tai sont en
réalité un mélange de deux films qu'il a du
compléter pour les distribuer. Ainsi Devil
Killer est un mélange extrêmement
osé d'un kung fu classique et violent de Lam Tien Hung
jamais terminé, avec Tong Lung et Blacky
Ko Sau Leung, que le réalisateur a demandé
à Tai de terminer. Il ajouta à
ce kung fu un style plus personnel, dynamque et technique
mettant en scène son disciple Alexander et ses habitués comme Alan Hsu, Wong Chi
Sang ou encore Yeung Hung. Résultat étonnant,
le premier film étant trop court, les deux
premiers héros meurent au milieu du film
et sont remplacés par un nouveau duo vengeur
filmé en réalité bien plus
tard.
De même, Shaolin
Dolemite souvent daté officiellement
de 1999 est en fait de 1986 et seuls les plans avec
Rudy Ray Moore ont été finalement
ajouté en 99 pour permettre l'exploitation
en dvd. Dernier exemple, Iron Bodyguards tourné
en 1996 est un mélange de
"Return of the Assassin" (1973) de Lau Kar Wing et de 15 à 20 minutes filmées pa Tai.
Quelques exemples d'une approche économique
typiquement taiwanaise comme a pu le faire Ng Kwok
Yan en reprenant des scènes de Wu Tang vs
Ninja dans son USA ninja, et qui rapprochent Robert
de son délèbre compatriote Godfrey
Ho, qui lui mélangeait plusieurs fois les
scènes de ses films avec de nouvelles, notamment avec l'aide d'équipes coréennes et de casts étrangers.
LA
MISE EN SCENE ET LE MONTAGE
Avec à ses côtés
un homme qu'il surnomme la steady cam humaine, Tai
use et abuse de panoramiques, de renversements,
de rotations qu'il découpe en séquences
très serrées filmées à la queue leu leu sans prêter beaucoup d'attention à la lumière, la colorimétrie et autres bidules photographiques trop couteux, en y ajoutant d'autres plans en "reverse" ainsi qu'un overcranking appuyé pour certains combats. Tai se concentre presque uniquement sur les 1001 façons d'accentuer la performance de ses
athlètes et de rendre crédible
une séquence irréaliste avec son budget
hyper serré comme savent si bien le faire bon nombre de réalisateurs Taiwanais. Tai possède surtout une grande expérience de la Shaw qui le place techniquement au dessus de beaucoup des réalisateurs locaux. Thundering Mantis qu'il chorégraphie à son retour à Taiwan atteste de sa maîtrise technique et Incredible Kung Fu Mission attestent de sa capacité à réaliser des combats de groupe étendus qui n'ont pas à rougir devant ceux des grands. Son influence a aussi renforcé une avant-garde de réalisateurs taiwanais et de brillants athlètes locaux qui ont produits les meilleurs films de ninjas des années 80, autant dire les meilleurs de tous les temps...
LE
SEXE et
LE NAKED FIGHT
Dans ses réalisations, il y a toujours au
moins une scène de sexe d'un érotisme
tout à fait abissal. Toujours dans un
souci d'excès, Tai introduit le naked
fight, ou combat de femme guerrière nue.
Le premier relevé se trouve dans Guards
of Shaolin. Viendra
ensuite Alice Tseng la combattante nue attitrée
de Robert, qui n'hésite pas à se battre
entièrement nue contre des ninjas pour terminer
par un saut grand écart filmé en contre
plongée du meilleur goût. Dans Ninja
Final Duel 2, Alice Tseng récidive en assainant
des coups de seins dans la figure d'un Alexander
Lou cloué au sol...
LES
EFFETS TRES SPÉCIAUX
Avec sa trilogie Ninja final duel, Robert s'emploie à créer de nouveaux concepts d'effets
spéciaux SF bis. Il utilise par exemple,
et ce dans plusieurs films, un caléïdoscope
pour traduire l'hypnotisme. Charliema Nsu voit trouble à travers une image
tournoyante et démultipliée d'Alan Lee, le chef
ninja hypnotiseur. De même, Alice Tseng débarque
dans Shaolin Dolemite dans une effet hypnotique
et caléidoscopique où elle tourne
sur elle-même à grande vitesse.
Pour traduire l'atmosphère mouate d'une scène érotique, Robert
filme à travers une vitre et même un
cul de bouteille brisé pour accentuer le romantisme ambiant. Tout sauf probant.
Notons
encore le passage de Dolemite ou Eugène Thomas
transforme ses deux bras droits morts en guerriers
cannibales d'or et d'argent, une superposition rapide
de deux images, l'une montrant les guerriers dits "normaux",
et l'autre montrant la calvitie soudaine due à
la métamorphose, à la manière
des bons vieux films de SF, le tout doublé
d'un montage quasiment image par image qui montre
ainsi les liquides imprégner la tête
puis le corps des cobayes.
Dernier exemple tiré de Final Duel. Afin
de montrer un ciel écrasant comme tiré
de la planète Mars, Tai pause directement
sur l'objectif un film plastifié transparent
orange.Spécial.
L'HUMOUR
Chastity Kung Fu est
l'exemple le plus représentatif en humour visuel
typique de la kung fu comédie. A côté
de la violence brutale, la troupe d'enfants du village
prennent leur revanche en s'amusant à ridiculiser
la bande des neufs démons un par un. Des
boulettes lancées à la sarbacane pour
l'un, des acrobaties pour désorienter un
autre, des drapeaux pour emprisonner un troisième
et même une séance de corde à sauter qui se poursuit en pendaison par les pieds.
EXEMPLE
DE LA CORDE A SAUTER DE SHAOLIN CHASTITY KUNG FU
Chastity
kung fu reste un peu l'exception dans les films de Tai
puisque toutes ses autres réalisations ne garderont
qu'une très légère touche toujours navrante au milieu du sérieux et de l'héroïsme de rigueur.
LA
MUSIQUE
La musique n'est pas en reste et pioche particulièrement
dans les films d'action et de science fiction américains,
pour renforcer la profonde tragédie qui se
trame à l'écran... Mais ça,
il n'est pas le seul à le faire parmi les
réalisateurs HK et taiwanais. Bien que, utiliser
l'intro de la musique de Ghostbusters chantée
par Trey Parker Junior, ou des pans entiers de la
BO de Rambo ou de Das Boot, peut-on oser ?
CONCLUSION
Le plus important reste l'oeil de Tai. Bien que tout semble très
amateur, mal foutu, cheap, voir Z, Tai se démarque
par un savoir-faire technique et une imagination unique en matière de combats, une maîtrise de l'espace soutenue par une troupe fidèle et brillante. Son expérience et son succès méconnu à la Shaw sont les points capitaux qui le démarque du tout
venant réalisateur de kung fu indépendant.
Les leçons de Chang Cheh et de Liu Chia Liang
sont bien visibles dans toutes les scènes
d'action du Tai réalisateur et chorégraphe.
Comme
Toby Russell l''explique dans son interview, Tai
ne prépare pas ses chorégraphies en
dessinant un story board, il a tout en tête et écrit tout de
A à Z, de la direction à la position
de la caméra au nombres de plans en passant
par les moyens techniques à mettre en oeuvre.
Tout est écrit noir sur blanc ce qui semble
fastidieux mais facilite énormément
la mise en place d'une scène pour toute l'équipe technique.
Sous
ce n'importe quoi apparent, Tai garde donc une
méthode bien précise et une expérience
qui rappelle évidemment son mentor Chang
Cheh, ainsi que Ching Siu Tung pour
les délires aériens, voir même
Tsui Hark pour la vitesse de narration,
les rythmes et contre rythmes. Le niveau est bien
entendu à relativiser, toute personne
normalement constituée n'y verra sans doute
qu'un sinistre bordel monstrueux. Pourtant,
j'y vois davantage (et je ne suis pas le seul) un formidable vent de liberté déployé
en dépit d'énormes contraintes financières,
une créativité unique concernant le montage et
la mise en oeuvre de l'action, un chemin précurseur
pour toute une génération de films
d'action à venir, pré ou post matrixiens.
Robert
Tai n'aura peut-être jamais la reconnaissance
qu'il mérite mais comme il le dit lui-même,
ses kung fus attirent encore aujourd'hui le jeune
en mal de nouveauté débridée,
car presque tout dans un Robert Tai semble sorti
d'une autre planète. |